ChroniquesPublié le 25 mars 2025
Dire « non » au travail : qu’est-ce qui nous fait hésiter ? Tabatha THIEBAUT RIZZONNI, Mardi 25 mars Chronique Radio Balises
Qu'est ce qui définit que les feux sont rouges ou verts pour dire oui ou pour dire non ?
Quelles sont les conséquences d'un "oui " ou d'un "non" sur la santé mentale ?
Qu'est ce qui est objectivable, acceptable?
Tabatha THIEBAUT RIZZONNI, psychologue du travail, nous propose quelques clefs
En écoute par ici : https://radiobalises.com/station/non-et-lmnp/
Je vais vous parler de la difficulté à dire « non » au travail, qui un vrai dilemme pour un grand nombre de personnes. Sachant que ça ne dépend ni du poste occupé, ni du statut, ni du secteur d’actvité.
Je vais prendre deux exemples : celui d’un entrepreneur et celui d’un salarié.
Pour un entrepreneur, dire « non » à une demande de la clientèle est une potentielle perte de chiffre d’affaires. Si la prestation est évaluée par l’entrepreneur comme étant peu rémunératrice et demande beaucoup d’efforts – déplacement, préparation, temps de travail – dire « non » serait justifié. En revanche, cela revient à s’asseoir sur une partie du CA, surtout s’il n’a pas d’autre prestation de prévue sur cette même période.
L’entrepreneur se questionne, étudie, évalue et sollicite du soutien externe pour éventuellement l’aider dans son choix. Rapidement, il valide ou refuse la prestation en acceptant de perdre du CA le cas échéant. Le fait que l’entrepreneur soit seul responsable de son activité, il a le pouvoir de la réguler. Refuser, ou dire « non » à un client, peut engendrer un conflit interne temporaire sans avoir de conséquences sur les relations de travail.
Pour un salarié, refuser ou dire « non » à une sollicitation d’un collègue ou d’un responsable est un enjeu différent puisqu’il s’agit d’une équipe de travail et qu’il est payé pour « faire son travail ».
Et ça se complique ?
Et oui, à ce moment les questions se bousculent : si je refuse cette tâche vais-je passer pour un fainéant ? Si mon responsable me demande de faire ça, est-ce parce qu’il croit en mes compétences et en mon efficacité ? Si je refuse, est-ce que ça ne risque pas de déconstruire l’image qu’il a de moi ? Pense-t-il que je suis la seule personne à pouvoir y répondre correctement ?
Si mon collègue me demande de faire cette tâche alors que j’ai beaucoup de travail peut-être qu’il est lui-même en surcharge de travail ? Dans ce cas, est-ce légitime de refuser ? Peut-être que moi je peux le faire pour l’alléger ?
Cela en fait des questions pour un refus de tâche..
Et oui, et c’est ce qui se passe pour beaucoup de personnes qui viennent consulter au cabinet pour de la souffrance au travail.
La difficulté à dire « non » à ses collaborateurs n’est souvent pas la cause de leur venue au cabinet mais elle est fréquemment liée à l’objet initial de consultation : l’épuisement, le stress, l’insatisfaction dans son travail, la dégradation des relations au travail, la gestion du temps ou la baisse d’estime de soi, de ses compétences.
Les personnes ne s'en rendent pas compte?
Pas toujours. Et parfois ils s’en rendent compte mais se sentent piégés, n’arrivent pas à fixer leurs limites, ne se sentent pas légitimes à refuser, ont peur pour leur image de travailleur voire pour leur poste, ou se sentent dans leur rôle d’accepter.
C’est lorsqu’on fait le point sur leur fiche de poste initiale, le travail réel, les ressources de l’organisation et les éléments bloquants – comme le manque de matériel, la qualité de transmission d’informations, le manque de personnel – qu’ils se rendent compte qu’il est parfois impossible de répondre positivement aux sollicitations et que refuser est tout aussi valorisant, acceptable et entendable par les collaborateurs, qu’il s’agisse d’un collègue ou d’un supérieur. -
Cette prise de recul permet donc de replacer un refus de sollicitation au sein d’un contexte organisationnel et non seulement d’une interaction. Refuser reprend tout son sens et sa légitimité.
Dans ce cas en revanche les critères de refus sont différents d’une personne à l’autre alors, selon son poste ou y a-t-il des similitudes ?
En effet, tout dépend de soi et de son équilibre mais les questions à se poser sont toujours les mêmes. Le point de départ c’est soi. Comment on se sent à ce moment-là ? Comment on estime la nouvelle tâche (durée, difficulté// compétences) ? Comment peut-elle se greffer dans notre planning ? Est-ce acceptable ? C'est à dire est-ce que je vais pouvoir effectuer cette nouvelle tâche de manière qualitative dans mon état actuel et vu ma charge de travail ? Si les feux sont verts c’est bon.
Si en revanche on identifie que notre charge de travail est importante, que les tâches à venir sont urgentes, qu’on n’a pas suffisamment de temps pour une tâche supplémentaire, qu’on est obligé de rogner sur les temps de pause ou d’allonger notre temps de travail pour accepter la sollicitation, si on se dit qu’on peut faire cette tâche et qu’on rattrapera le retard en amenant du travail à la maison, les soirs ou les weekends, si on est fatigué et qu’on estime qu’on fera la tâche à la va-vite sans être satisfait du rendu, alors il faut refuser.
Si on accepte alors que les signaux sont rouges?
Parfois ça passe. Ça nous créer un peu de stress mais si la tâche est effectuée rapidement et nous soulage d’un poids, qu’on a répondu à la sollicitation et que le travail est bien fait, on peut y trouver une certaine satisfaction. Dans ce cas la tâche supplémentaire n’a pas altéré notre fonctionnement social, professionnel et personnel.
En revanche, accepter une sollicitation avec des signaux rouges signifie qu’on a poussé nos limites personnelles et qu’on ne les a pas fixées pour les autres. Et donc, qu’on est sollicitable à souhait.
Et c’est lorsque les sollicitations se font plus nombreuses ou que notre organisation professionnelle et personnelle est mise à mal qu’il devient nécessaire de dire « non » et que dire « oui » nous amène… à consulter.
Si on décide de ne pas aller consulter et qu’on s’y prend avant en disant « non », comment on s’y prend ?
En deux étapes : déjà, on dit non pour soi. Ensuite on dit non aux autres.
Dire non pour soi ça renvoie à quoi ?
Il s’agit de poser des bases rassurantes pour asseoir notre décision. On va fixer ses propres limites, à la fois pour soi-même (et oui, chacun d’entre nous a des limites, personne n’est un superman ou superwoman) et pour les autres (pour qu’ils les respectent et n’abusent pas de notre bonne volonté).
Dans un premier temps, un retour à la fiche de poste est nécessaire: quelles sont mes tâches, quel est mon rôle, que dois-je faire dans mon poste ?
Ensuite, on se centre sur l’organisation de travail : comment j’organise mes journées, mes blocs de travail, le temps perdu aux déplacements ou aux interruptions ?
Enfin, on identifie les besoins : temps de pause, déjeuner, social, interactions avec les collègues ?
Ces éléments permettent de définir les limites pour accueillir la sollicitation.
Ensuite, on veille à identifier les pensées et émotions qui pourraient nous amener à dire « oui » quand même et on les remet en cause : est-ce que la culpabilité a réellement sa place si je refuse ? Est-ce que mon image professionnelle va réellement être dégradée ? Vais-je vraiment subir des représailles de mes collègues ou supérieurs ?
Après, on a tous les éléments pour dire « non » aux autres.
Donc la deuxième étape, dire non aux autres.
Tout à fait. On a donc fait notre point personnel. Maintenant on entre dans l’échange et la discussion. Pour ça, trois choses :
On prend en compte la demande de l’autre personne et ses besoins
o « Je comprends que cette tâche doive impérativement être faite » On expose ses contraintes professionnelles et ses besoins, c’est ce qu’on a identifié juste avant.
o « Je suis embêté pour vous, toutefois je préfère vous dire que je ne peux pas faire ce travail d’ici telle date »
o « Si je fais ce travail je risque de mal le faire, de faire des erreurs au détriment de mon bien-être, de votre intérêt et des intérêts de l’entreprise » On cherche un compromis
o « Pour vous arranger je veux bien prendre une partie de ce travail, la plus urgente. Pourriez-vous dans ce cas me décharger d’une partie de mon travail pour que je ne sois pas surchargé et que je réalise la tâche correctement ? »
En synthèse, on peut dire que pour dire « non » à un collaborateur il est nécessaire de connaître ses limites – celles qui préservent notre équilibre professionnel et personnel et pas celles qui nous font frôler l’épuisement – de connaître ses besoins, d’écouter les besoins de l’autre personne et de chercher un compromis acceptable pour tous. Savoir dire « non » permet d’éviter la saturation et la surcharge de travail, se faire respecter par les autres, de limiter les sollicitations abusives et participe à maintenir une image de soi positive (estime de soi = opinion de soi-même / confiance en soi = compétences personnelles / affirmation de soi = compétences relationnelles).