ChroniquesPublié le 15 octobre 2024
Le travail en 2050 Partie 1 Julie LASSALLE, Chronique Radio Balises 15 octobre
Julie LASSALLE est chercheuse et consultante en sciences cognitives et psycho-ergonomie et fondatrice d’ECHO. Elle accompagne les entreprises dans leurs besoins de transformations pour l’amélioration des conditions de travail et des transitions durables et désirables.
L’ANACT (agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail) et l’INRS (Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles) en association avec l’IEA de Paris (Institut d'études avancées, centre de recherche indépendant en sciences humaines et sociale) et la Fondation 2100 (pour le promotion de la prospective de long terme des sociétés humaines) ont proposé en début d’année une seconde édition de leur concours Positive Future sur le thème “Le Travail en 2050”.
L’objectif du concours est de promouvoir des approches réalistes et désirables de l’avenir en valorisant les travaux de prospectives sur les conditions de l’emploi et du travail.
170 participants ont proposé des productions sous forme de bande dessinée, de vidéo ou d’audio.
A la Clinique du travail (Floriane Carême pour les visuels et leur trame, Marion Lagarde pour le graphisme, Olivier Hildebrandt pour le son et le graphisme et Julie Lassalle pour l’écrit prospectif), nous avons opté pour le format vidéo et ce que vous allez entendre est la partie écrite de cette proposition.
Cet écrit est donc un exercice de projection
Nous n’avons pas gagné mais nous avons pris plaisir à imaginer un futur possible du travail.
Partie 2 avant fin 2024, promis ;-)
2024 - janvier
Mon métier, c’est ergonome, cela consiste à œuvrer pour l’amélioration des conditions de travail. J’observe, je recueille, j’analyse, je recommande.
Je vois des corps usés, tassés, rigides, des esprits automatisés, angoissés, des métiers désaffectés.
J’entends le besoin d’élargir les frontières du concept de travail, de ne plus le réduire à un seul objectif de rémunération financière. Les femmes au foyer, les bénévoles engagées, les grands-parents dévoués, tous ces inactifs, actifs.
Le travail est ce qui nous réunit toutes et tous, à toutes les époques, partout dans le monde, c’est notre dénominateur commun, au-delà de nos différences culturelles, historiques, géographiques, c’est notre enjeu partagé majoritaire. Nous devons métamorphoser le travail pour préserver la biodiversité, pour sauver l’humanité. Il est certain qu’en transformant le travail, nous transformerons le monde.
2025 Décembre
C’est dimanche, il est 20h, Alix me réclame une histoire. Je lui réponds que je dois travailler. Encore une fois. Je la serre contre moi, hume ses cheveux. La moue triste et le regard en colère, Alix se dénoue de mes bras et s’en va. Mon cœur crève de mille épines et mon ventre se rempli de mille anguilles, entrelacées et lourdes comme une enclume.
David travaille en 2/8, une semaine le matin, une semaine le soir, en alternance. Il me dit qu’il est vidé, qu’il souffre du dos, que les douleurs empirent. Il a 38 ans. Impossible d’arrêter. L’inflation nous éprouve, nous mets à mal.
« Travailler plus, pour gagner plus », la promesse, l’illusion.
Il est 2h30, j’éteins mon ordinateur. Je croise David, il ne me voit pas, il ne voit qu’un cœur crevé d’épines et un ventre noué d’anguilles.
Il est 2h30, je ne le vois pas, je ne vois qu’un corps désincarné, tiré par des gestes mécaniques et douloureux.
Sans un mot, je vais me coucher, je me lève dans 4 heures. Sans un mot, il part travailler, il a dormi 4 heures.
2029 - Juin
Le réchauffement climatique s’aggrave, il passe par toutes les bouches, politiques et citoyennes. La chaleur omniprésente semble écrire une fin qui paraît presque certaine. La peur dégouline des médias et des discussions de café, elle s’échappe des murmures prononcés dans l’intimité.
Les grandes entreprises inertielles tombent en cascade pour ne pas avoir pu prendre le virage du mouvement régénératif. Le chômage massif ravage les villes, s’insinue dans les maisons, contamine les foyers du monde entier et explose en foule dure, compacte et déterminée. Les rues sont de cris et de fracas. Je suis enserrée dans cette masse uniforme, ralliée à l’interpellation unique, à la rage des conséquences non maîtrisables. Les épaules se touchent, les odeurs se confondent, les corps font un, ils poussent la ville et demandent l’espoir.
Aujourd’hui, les géants de papier tombent et déchirent dans leur chute une page historique. Ils laissent, en lieu et place de leur piédestal, une béance bouillante d’où s’agrippent des mains en recherche de prises sur le futur.