ChroniquesPublié le 16 avril 2024
Sens du travail et santé, Elen MAILFERT, Radio Balises 16 avril
En écoute par ici :
https://radiobalises.com/station/sens-du-travail-discrimination-taux-dinterets-et-mac-arthur/
La notion de sens au travail prend une place de plus en plus en centrale pour tenter de comprendre les phénomènes qui impactent actuellement beaucoup d’entreprises, organisations du travail et secteurs d’activités : Absentéïsme, turn-over, démission, “quiet quiting” ou démission silencieuse .
Lorsqu’on évoque les questions relatives au sens de la vie ou sens du travail, on pourrait croire qu’il s’agit de préoccupations plutôt philosophiques, ne préoccupant que des catégories sociales supérieures ou de métiers. intellectuels. Et pourtant, même si cette cette notion de sens nécessite d’être abordée avec humilité, elle nous concernent tous et fait l’objet de multiples recherches scientifiques internationales dans différentes disciplines en sciences humaines. On peut par exemple citer Estelle MORIN, professeur en psychologie et management au Quebec ou encore Jean-Luc Bernaud professeur en psychologie et son équipe travaillant au CRTD, le centre de recherche sur le Travail et le Développement.
D ’ ailleurs, on dit sens du travail ou sens au travail ?
C’est une bonne question. Suite à ses recherches, Estelle Morin propose effectivement de distinguer les deux.
Ainsi, le sens du travail se rapporterait aux tâches ou aux activités qui s’inscrivent dans un rôle, une fonction. Le sens que l’individu donne à l’organisation du travail, le travail lui-même.
Et, le sens au travail s’appliquerait aux relations qu’une personne entretient dans son milieu de travail avec ses supérieurs, ses collaborateurs, ses collègues et la clientèle. Il relève des conditions dans lesquelles le travail s’effectue (le contexte).
Pour ma part, j’ai pour préférence l’usage de la notion de sens du travail qui est retenue par l’approche en psychologie du CRTD.
Qu ’ est le sens du travail, alors ?
Il est premièrement important de dire que le sens est un processus dynamique en tant que ressource adaptative. C’est à dire, qu’il peut évoluer tout au long de notre vie. En cela, le sens n’est pas un attribut de l’homme mais c’est dans une recherche de celui-ci qu’il est
découvert.
Le sens du travail est une notion transversale à la croisée de la psychologie, la sociologie, la philosophie ou encore l’économie. Selon Caroline Arnoux-Nicolas, maitre de conférence en psychologie, il est composé de trois sphères : Individuelle, relations professionnelles
et organisationnelle.
Elle indique que le sens du travail renvoi à trois dimensions clés :
La perception ou la signification du travail, de la valeur qu’il a au yeux de la personne. En soi, son rapport avec celui-ci.
La direction ou l’orientation de la personne, de ce qu’elle recherche dans son travail.
L’effet de cohérence entre la personne et le travail qu’elle accomplit.
Le sens du travail se défini à travers la perception subjective de l’individu et son rapport à celui-ci, la plupart du temps en interaction avec un collectif de travail. Il repose notamment sur des expériencesdu vécu du réel du travail et de l’interprétation d’expériences passées.
Peut-on dire qu ’ actuellement, le travail a perdu son sens ?
La perte de sens est effectivement une plainte ou un discours que l’on entend beaucoup en ce moment. On cherche alors à le retrouver, le redonner ou encore le créer pour continuer à travailler.
Mais il est important d’insister sur le fait que le sens n’est pas une substance, un matériel que l’on pourrait retrouver comme une paire de lunettes égarées.
C’est pourquoi on ne peut pas dire qu’il soit réellement perdu. Il est plutôt sans cesse à reconstruire.
Fabienne Hanique, sociologue clinicienne du travail explique que la perte de sens est liée à l’utilité et la qualité des finalités du travail.
De ce fait, les entrechoquements avec des logiques d’efficacité, de productivité, de parcellisation de l’activité…sont nombreux et favorisent l’émergence de paradoxes et d’incohérences délétères pour le sens du travail
Quel est le lien entre sens du travail et santé ?
Comme évoqué, le sens qu’une personne attribue à son travail est subjectif. Il est donc en partie tributaire de ses perceptions, positives ou négatives.
La perception du sens du travail par les individus est un déterminant majeur de leur santé psychique. Il est étroitement lié à l’activité, aux tâches et conditions de travail. Le sentiment d’incohérence peut aussi survenir après des changements multiples.
Selon une étude des économistes Thomas Coutrot et Coralie Perez sui ont publié un ouvrage sur ce sujet du sens du travail, entre 2013 et 2016 la perte de sens est associée à une forte hausse de l'absentéisme pour maladie avec un risque de dépression multiplié par 2.
Ainsi, la psychopathologie du travail n’est jamais loin de la perte de sens. Des formes de détresse psychologique peuvent apparaitre sous la forme d’un état de tension et de stress caractérisé par un état anxieux ou dépressif, d’irritabilité, de dépréciation de soi et de désengagement social.
Mais alors, comment préserver le sens du travail des travailleurs?
On peut commencer par retenir les 6 caractéristiques du sens du travail d’Estelle Morin :
L’utilité sociale du travail aux autres ou à la société
L’autonomie (latitude décisionnel, créativité)
Les occasions d’apprentissages et de développement
La rectitude morale (justice, éthique, équité, responsabilité .)
La qualité des relations
La reconnaissance (hiérarchie, collègues, clients .)
De ces caractéristiques, les entreprises et toute organisation du travail peuvent déterminer des leviers concret d’action. Néanmoins et pour viser au plus juste et pour que cela face sens, il est indispensable d’engager une écoute et un dialogue avec les travailleurs. En articulation avec leur Direction, les managers de proximité ont une fonction d’identification des besoins et problématiques essentielle.
Écouter les travailleurs sur leur quotidien de travail et leurs activités est déjà une forme de reconnaissance en soi. Aussi, inscrire l’ensemble des travailleurs dans des dynamiques participatives autour du travail est vecteur de sens et contribue à consolider les équipes.
L’accompagnement au développement des compétences ou à la gestion de carrière est un levier important et qui l’est d’autant plus face à la durée des carrières professionnelles qui s’allongent. Car en effet, l’ennui au travail est aussi un facteur de perte de sens. Prendre le temps de valoriser le travail bien fait, définir des consignes de travail lisibles et digestes, réguler la charge de travail, mener une analyse continue des toutes les formes d’absentéisme .Autant de pistes dont on peut s’emparer.